Quand on marche près d’un fleuve, garder ses distances est difficile. Une sorte de magnétisme vous ramène à l’eau. Même si le chemin de halage connaît des interruptions et qu’il me faut, de loin en loin, quitter la Seine, j’y reviens dès que possible. Pas question de manquer le bateau-mariage Le Dauphin vert ou la petite écluse d’Evry, ni non plus les vestiges d’un ancien pont sur le fleuve dont les démolisseurs ont laissé, par paresse ou par nostalgie, un chicot de pierre sur chacune des deux rives.
D’autres trésors se cachent à l’intérieur des terres. Pouvais-je me douter qu’un ruisseau d’aspect quelconque mais capable, sous l’averse, de chanter un air mémorable, porterait le joli nom de « Ru de l’Ecoute-s’il-pleut » ? Que des chevaux paîtraient en liberté devant leur portrait peint, au lieu-dit du Gros Guillaume ? Que le général José de San Martin, libérateur des colonies sud-américaines aux côtés de Simón Bolívar, aurait élu résidence à Evry-Courcouronnes ? Que la célèbre auberge rouge, en Ardèche, compterait une jumelle dans la même localité ? Qu’un temple gigantesque, la pagode Khánh-Anh, ferait de l’ombre à une avenue d’Evry ? Etc. Etc.
La tête me tourne un peu. D’un revers de main, j’essuie l’écran de mon GPS mouillé de transpiration. Depuis la veille, à force de détours, de variantes essayées et de méandres consentis, j’ai parcouru une soixantaine de kilomètres à pied. Il est encore tôt et je pourrais, avant la nuit, arrondir au chiffre supérieur. Tant de rues encore à parcourir ! Tant d’images, de sons à capturer !
Cependant la fin est là, je le sens. Il est des signes qui ne trompent pas. Ni la fatigue, ni la soif, que j’ai apprivoisées, mais mon intérêt déclinant pour les surprises du chemin. Mon regard s’émousse. Même l’étrange dépôt de pollen, aux allures de neige tiède, qui recouvre ici les berges de Seine n’éveille plus chez moi qu’une curiosité distraite.
Je prends un dernier cliché, là ou je suis, en pivotant le buste vers la Seine. Par une trouée dans la végétation, on aperçoit les eaux bouclées du fleuve contournant l’île aux Paveurs. Un sémaphore se dresse dans le courant. Qu’indique-t-il aux péniches avalantes, celles qui glissent vers la mer ? Aucune idée, mais il me semble qu’il s’adresse à moi, aussi ; que la balise rouge et blanc m’ordonne : « fais demi-tour ». Alors j’obéis.
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