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Comme j’aborde le sentier forestier par un court raidillon, des pompiers chargés de cordes le dévalent à toute allure. cette apparition rouge ne dure qu’un instant. Déjà, les épais tuyaux s’enroulent au flanc des camions qui démarrent en trombe.

 Simple exercice, ou bien le feu a-t-il pris parmi les grands arbres qui habillent les coteaux de la Seine ? Je déchiffre, un peu inquiet, le nom du point de navigation que j’ai marqué près d’ici : « four à chaux de Nandy« . La calcination du calcaire pour en faire de la chaux s’opère au-dessus de 950°. C’est bien assez, ma foi, pour démarrer l’incendie…

Mais non, il n’y a plus trace du four en activité ici au XIXe siècle. Seule subsiste la fosse creusée pour l’accueillir, au pied d’une falaise blanche qui forme un belvédère sur le fleuve en contrebas.

Enfin, deux pas plus loin, la grande forêt de Rougeau m’avale. Me voici parmi les chênes, dans leur présence massive et odorante qui remplit l’espace à perte de vue. Ces arbres colossaux, on n’en saisit toute l’ampleur qu’en redressant la tête. Il faut projeter par la pensée, dans le sous-sol, des racines aussi longues qu’apparaissent des branches étirées vers l’azur. 

Les forêts cavalières m’ont longtemps rebuté. J’appelle ainsi les forêts, nombreuses en Île-de-France, qui répondent aux besoins des équipages de chasse à courre : des allées larges et rectilignes où les chevaux peuvent s’élancer, des carrefours distribuant dans toutes les directions des voies sableuses aux noms évocateurs de la noblesse et de ses loisirs cynégétiques.

Ma théorie est la suivante : là où le cavalier et le cycliste s’amusent, le piéton s’ennuie. Il n’y a guère qu’en selle que ces forêts sont plaisantes à traverser. Une certaine vitesse est requise, sans doute, pour enfiler les longues droites interminables.

Pourtant la forêt de Rougeau a du charme, même pour l’homme à pied. Cette séduction tient peut-être à ses toponymes : ravin du gouffre, route de l’inspecteur, secteurs de l’ermitage ou de la mare longue… Au Carrefour du Dauphin, désert, j’écoute longuement les rumeurs de la chênaie qu’anime un vent léger. 

Sur la carte, une voie plein nord figure en pointillés. Malgré son nom de "route du Grand Cavalier", c'est une piste assez étroite aux allures de sentier.

Quelqu’un a oublié un sachet de cerises sur une pierre. J’hésite. Et si c’était un piège, si un fou dangereux avait enrobé chaque fruit de cyanure ? Quelles idées vous viennent, parfois… Les cerises tombent dans mon sac à dos et me procureront un excellent goûter.

Des cerises en forêt

Je suis la route jusqu'au bout, c'est-à-dire le Carrefour du Roi : un disque de sable clair qui renvoie crûment la lumière ; par contraste, le ciel au-dessus paraît presque noir.

Ici commence l‘allée Royale, jonction avec le domaine de Sénart. En préparant mon itinéraire, j’avais repéré cette immense ligne droite reliant les deux forêts, une voie piétonne ininterrompue de six kilomètres telle, pensais-je, que nos paysages urbanisés n’en conservaient plus. À ce que j’ai lu, certaines sections sont bordées de séquoias géants.

Mais cette piste m’entraînerait trop loin au nord… Alors, tant pis, je bifurque vers l’ouest par le chemin dit « du port aux Sablons« . À la lisière de la forêt, mes pas abordent un paysage tout différent. C’est la plaine briarde avec ses champs de céréales tachés de coquelicots, son château d’eau dressé comme une tour de guet et la rumeur éparse, plus ou moins vive selon le sens du vent, d’un parc d’attractions caché sous les arbres. 

À mi-parcours, le hameau de Villededon attire l’attention. Dans un louable effort d’auto-promotion, ce groupement de quelques fermes autour d’une maison bourgeoise se signale par une véritable mise en scène de son décor champêtre.