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Le parapluie a gardé un peu d’humidité dans les plis de sa toile. Moi, j’ai bien séché en marchant, et le soleil revenu aiguise ma soif. La gourde qui tintait joliment dans la poche latérale rend maintenant un son creux. Heureusement, Morsang-sur-Seine compte parmi ces rares bourgades dont la fontaine publique est restée en service. Je m’y précipite, goûtant la joie ineffable de boire à satiété, et même plus, de me rincer les mains, de m’asperger le visage, de boire et reboire encore – une vraie fête, telle que la vie n’en offre guère de plus denses.

Fontaine publique Morsang-sur-Seine

Joli coin, d’ailleurs. De l’ombre, des fleurs, une église accueillante, des cyclistes qui filent dans le cliquetis de leurs mécaniques légères.

Sur la carte, j’ai pointé un nom presque au hasard : « la place du vieux garçon ». C’est à deux pas. Le site est splendide, bordé d’une pelouse vert cru qui semble déroulée tout exprès pour s’y étendre, le dimanche, et voir passer les bateaux.

Hélas, l’auberge éponyme où Georges Simenon est descendu et où son personnage, le commissaire Maigret, a loué des chambres, n’accueille plus de voyageurs. Le bâtiment abrite le siège d’une entreprise de télécommunication. Comme je déballe un sandwich, un employé franchit le portail, pilotant une énorme parabole sur un chariot de manutention. 

Sur quelques kilomètres, d’opulentes villas Belle-Epoque alternent avec des péniches sédentaires, ancrées pour longtemps dans l’ombrage frais des saules et des peupliers. Leurs propriétaires ont investi la berge en y déployant tables, chaises et parasols, voire, pour certains, un garage à porte déroulante ou une piscine en kit. Une collection de bibelots, un stand de musculation, un juke-box poussiéreux complètent cet attirail de campeur à l’année.

Je comptais me rafraîchir à la guinguette des Rapetou – là encore, le nom m’intriguait -, mais ce restaurant-brocante a baissé le rideau. Dommage, c’était le seul ravitaillement possible avant de traverser la grande forêt qui s’étend des bords de Seine jusqu’à Savigny-le-Temple.

Tant pis, il faut avancer. Ce fond d’eau dans ma gourde, j’en savoure chaque gorgée, assis sur un banc face au fleuve. Ma carte ignore ce petit coin d’éden où les pêcheurs se postent la nuit, à l’affût des poissons de vase.